Alors que l’air autour des deux silhouettes vêtues si sombrement s’alourdit, son esprit s’allégea pour révéler une candide stupeur quand elle étudia les traits du visage inconnu. Pourtant paré d’une familiarité déconcertante, un ancien port oublié où l’on revenait des années après. Un retour à des traits presque réconfortants qui pourtant étaient ignorés de sa perfide mémoire. Il lui rappelait quelqu’un, non, quelque chose qu’elle avait longtemps apprivoisée comme sienne. Etaient-ce ses pupilles dont la légère flamme de haine bourdonnait dans le plus sombre des marrons, ou plutôt la fatigue las trouvée dans les marques dures qui ornaient la sévérité de son expression ?

« Ce n’est rien. » Les paroles se perdaient dans le vide, incapable de détourner le regard d’une si cruelle représentation de ce qu’un reflet du plus profond d’elle-même pouvait être. Elle ne leur avait jamais prêté attention, Kiyoko, n’avait pas voulu leur donner l’importance que tant d’entre eux pensaient mériter, à ceux qui glanent. Pourtant il l’avait arrêtée dans ses pensées de par son aura presque aussi similaire au sien qu’elle pourrait se perdre, noyée entre les deux contours de leurs êtres en cet instant. Perturbée par le chemin de ses propres pensées, elle se repris en observant sa silhouette dissimulant sûrement bien plus qu’une simple arme. La jeune femme ne s’empêcha pas de hausser le regard une seconde fois pour le plonger directement à travers celui de cet homme aux familiarités mystérieuses. Façon animale d’assouvir sa soif de domination dans la conversation dont elle faisait si souvent preuve, pourtant mise à l’écart dès la première seconde pour se délecter furtivement de la froideur qui y régnait. Elle le savoura presque, si longtemps qu’elle n’avait plus eu droit à de tels percées de rétines à travers les pores mêmes de sa chair. « Peut-être pourriez-vous vous rattraper en m’offrant quelques conseils ? » Elle ria, Kiyoko, pour cacher la nervosité inopinée sous un sarcasme censé afficher son regret de voir un scythe en cette journée. « J’ai donc l’air d’une spécialiste en plantes selon vous ? C’est bien une première. » Croisa les bras pour supporter le poids de son propre corps plus amplement, cacha l’étincelle de fragilité qu’il venait de faire éclater aux plus profond de ses tripes, en une seconde d’un regard presque ravageur. Presque meurtrier. « …chasser la fatigue des entraînements, par exemple… » Le souffle vint caresser son oreille, fit se relever les poils sur sa nuque, frissonner sa colonne vertébrales et onduler ses mèches ténébreuses. Elle laissa s’échapper un éclat de rire avant de se retourner, pris une deuxième boîte de thé si somnolent dans sa main avant de s’écarter un bref instant pour glisser quelques pièces à une femme derrière le comptoir.
« Merci. »

Se retournant sur ses talons, ses pas enjambant la courte distance entre eux, elle se surpris elle-même par le geste si rare. Qu’avait-il donc réussi à enflammer en elle pour qu’elle se méprenne à d’idioties pareille ? Kiyoko serra la mâchoire, car elle savait. Elle connaissait sa faiblesse. Elle avait compris et s’était souvenue pourquoi il lui paraissait si connu. Lui rappelant que trop bien le scythe qu’elle fréquentait trop régulièrement et chérissait plus qu’elle ne le devrait pour son propre bien. Il était de cette fougue indomptée que Ren cachait encore à certains temps. Il lui rappelait le monstre qu’elle était elle-même devenue. Perdue dans un uniforme qu’elle n’aurait jamais dû vêtir.

Alors elle se laisse prendre à la curiosité d’une nouvelle rencontre sur son passage, aux bribes de ses conversations inutiles. Prend librement la main de l’homme dans la sienne pour y poser la boîte avant d’y rajouter les mots avec un sourire en coin. « Thé en cachets des forêts de l’Aube. A en prendre un le soir. Un seul, pour éviter d’effleurer la mort de trop près avec un état léthargique. Un secret de ses habitués. » Elle s’ose à approcher les doigts du col, le tirant légèrement sur le côté, pour observer l’ecchymose dévoilée sous son regard. Retire ses mains pour pousser le scythe vers la sortie de l’espace confinée qui pesait sous le poids de leur simple présence. « C’est étonnant de voir un scythe brandir ses blessures, si il en a. Est-ce que j’aurai devant moi un rebelle qui n’a pas bien écouté les ordres d’en haut ou plutôt un junior avec une curiosité déconvenue pour les choses désormais interdites ? » Elle s’amusa, l’air froid emplissant ses poumons, à essayer de déchiffrer l’énigme posée devant elle.