L'air sec et frais pénétrait dans les poumons du jeune homme alors qu'il descendait la rue d'un pas nonchalant. Il n'aimait pas spécialement cette ville, Pavlin, et encore moins pendant le concordium. Il avait accompagné sa sœur, Zora, pour la soutenir mais il ne pouvait s'empêcher de penser qu'il avait de la chance de ne pas être à sa place. Pas encore tout du moins. Il avait encore un peu de répit avant d'être confronté aux marieuses. Les jours s'écoulaient à une vitesse folle et il avait l'impression de passer à côté de sa vie, tel un fantôme errant hors de son corps. Cela faisait un moment que le Bytchkov avait refermé son cœur, cela faisait un moment qu'il n'avait pas sourit sincèrement. C'est marrant comme une personne pouvait ébranler un monde, son monde en l’occurrence. Il essayait de ne plus y penser, d'effacer son visage de sa mémoire. Et ça fonctionnait, la plupart du temps. Il se surprenait à retrouver le sourire pendant quelque secondes, en compagnie de ses sœurs ou de sa cousine. Une joie sincère, soudaine, éphémère. Mais lorsqu'il était seul, ce n'était pas la même histoire. Seul, tous ses démons prenaient un malin plaisir à le torturer, à le détruire. Malheureusement il y était souvent, seul, Pavlin. Il ne dormait que très peu, de peur de faire un de ces cauchemars qui le hantaient depuis son enfance, depuis qu'il avait découvert sa véritable nature. Seul, il réfléchissait, bien trop. Il rejouait les scènes dans son esprit, les bons moments passés avec lui, mais surtout cette fin soudaine et triste. Oui, il était triste Pavlin. Triste de ne plus pouvoir le serrer dans ses bras, triste d'être condamné à se cacher toute sa vie, triste de devoir mentir aux personnes qu'il aime. Cette tristesse se transformait très souvent en colère, en haine. En vérité, il lui en voulait énormément. De l'avoir laissé, d'être parti sans se retourner. D'avoir chamboulé son monde pour le quitter sans un bruit. Il le détestait, des fois. Il voulait le frapper, lui hurler dessus, lui dire à quel point il l'avait blessé. Puis, lorsque cette colère redescendait, elle laissait place à une simple question. Pourquoi ? Pourquoi être parti ? Pourquoi lui avoir brisé le cœur ?

Perdu dans ses pensées, une larme coulant le long de sa joue, Pavlin marchait sans but précis. Il avait quitté la cour du palais pour se changer les idées, prétextant aller chercher un cadeau pour Zora. L'ambiance pesante de l'Ice Court et du concordium lui donnait la nausée. Il aurait voulu être sur sa terre natale en ce moment, regarder la toundra glaciale s'étendre sous ses yeux. Mais il devait prendre sur lui, pour elle. Parce qu'elle avait besoin de son soutien, sa sœur. C'était la moindre des choses qu'il pouvait faire, la soutenir dans ce moment qui allait changer sa vie. Elle aurait fait la même chose en sens inverse. Le regard fixé sur le lointain, Pavlin ne remarqua pas tout de suite cette silhouette familière. Il ne la remarqua pas du tout, d'ailleurs, mais une odeur particulière lui emplit les narines. Oui, il connaissait cette odeur, et son cœur frappait à toute allure contre sa poitrine. Il avait déjà cru le revoir. Pendant plusieurs mois il l'avait imaginé à chaque croisement de rue, à chaque bout de couloir. Et à chaque fois il ne pouvait s'empêcher de penser que c'était vrai, qu'il allait tomber sur lui, face à face, qu'il le voyait vraiment. Alors il courrait, pour le rattraper. L'ombre s'évaporait toujours alors qu'il essayait de s'en saisir. A chaque fois il le voyait, mais aujourd'hui, c'était la première fois qu'il le sentait. D'un mouvement brusque, Pavlin se retourne et lance son regard dans la foule. Ses yeux se posèrent alors sur ce dos qu'il connaissait tant. Tremblotant, le garçon avança à pas de loup vers cette silhouette imposante. Ses doigts saisirent le bras du garçon sans qu'il ne s'en rende vraiment compte. Puis, dans un murmure incertain, le Bytchkov prononça ce prénom qui n'avait pas franchi ses lèvres depuis longtemps. « Alix ? »