Les diamants ornant le cou de la jeune femme luisent dans le regard de l'adolescent. Il la détaille d'un air presque absent alors que la poupée de porcelaine continue de se préparer face à sa coiffeuse. L'horloge résonne dans la pièce richement décorée de dorures et de tissus précieux. La chambre est à l'effigie de son occupante, immaculée et pure. « Ne vas pas à la soirée avec lui... » Les paroles de Theos sont plus tranchantes que ce qu'il aurait voulu. La tension qui l'anime se ressent dans sa posture et la veine qui tambourine follement sur sa tempe. Sybella jette un coup d'oeil au jeune homme à travers son miroir sans pour autant arrêter ses mouvements. Vainement, elle tente d'accrocher une perle à son oreille. « Et pourquoi ça Theos ? » Sa langue claque de mécontentement, les deux amis ne se comprennent plus. Ils se connaissent depuis leur berceau, élevés presque ensemble malgré les kilomètres qui séparent leur demeure. Ensemble, ils se sont soutenus, les quatre cent coups pour les gosses de nobles dont la pression hiérarchique est trop forte. Les années n'ont fait que les rapprocher jusqu'à ce que Sybella ne commence à voir ses sentiments amicales se muer en amour sincère et innocent. Elle n'a jamais eu le courage d'en dire plus. Pourquoi le faire au juste alors que les marieuses ont leur mot sur tout. Et puis il y a cette peur que Theos ne comprenne pas, cette peur que Theos ne ressente pas la même chose. C'est juste plus simple de rester amis, plus simple de se mentir à soit-même et de vivre dans l'illusion. « Tu sais qu'il n'a pas bonne réputation... » La remarque se veut détachée alors que la jalousie embrase ses pupilles. Certes le cavalier en question a la réputation de vouloir déshonorer ses cavalières à coup de sourire ravageur mais ce n'est pas cela qui inquiète le Beauchamps. Il sait que Sybella peut se défendre seule, il admire cette force de caractère et son indépendance. Si seulement il pouvait être un peu plus comme elle et moins comme lui. « Ella... S'il te plait... » Il fait quelques pas en sa direction alors qu'il tente de se radoucir. La vérité c'est qu'il crève de jalousie à la simple idée de la voir au bras d'un autre. La vérité c'est qu'il n'y a pas que Ella qui a vu ses sentiments se transformer. Mais la technique de l'autruche a toujours eu la préférence du Grisha. Il ne peut pas prendre le risque de s'attacher encore plus, de croire en quelque chose qui ne pourra jamais se réaliser et leur faire du mal. Il ne permet pas que quelqu'un fasse du mal à Ella, il ne veut pas en être le responsable. Elle mérite tellement mieux, tellement mieux qu'un mêlé au pouvoir meurtrier. « Qu'est-ce que tu proposes ? » Elle délaisse enfin son miroir pour se retourner vers le jeune homme. Pour la première fois depuis son irruption dans la chambre, les yeux se croisent pour ne pas se lâcher. Duel de regards alors que la tension pollue l'air. Caractères explosifs, ils savent quand une tempête se prépare. Les apparences sont calmes alors que les âmes sont infernales. « Et bien dis-moi ? Qu'est-ce que tu proposes ? » Elle se lève pour s'arrêter à seulement quelques centimètres de Theos. Leurs souffles s'entremêlent alors qu'ils se tiennent tête, à celui qui détournera le regard en premier.
Elle attend une invitation. Elle attend que Theos se propose d'être son cavalier à la place de l'autre. Il le sait. Ils le savent tous les deux mais les mots ne restent que chimère illusoire. « N'y vas pas c'est tout... » Il est le premier a baisser les yeux alors qu'il refoule l'idée de prendre la place de l'élu. Rester dans le déni, rester dans les non-dits. Point de non retour atteint par deux êtres qui s'aiment autant qu'ils se mentent. « Je le savais. Laisse-moi passer. » Le visage de Ella redevient impénétrable en entendant les paroles de Theos. Elle le bouscule d'un coup d'épaule pour pouvoir avancer et se dirige vers la porte. Mais d'un geste vif, le Beauchamps lui saisit le poignet dans un acte désespéré et la force à se retourner. « Arrête Theos ! Retourne dans ton château minable ! » Les mots se durcissent alors que les cœurs saignent en silence. « T'es qu'une garce Ella ! » Les muscles tremblent, la poigne se durcit sur le bras menu. « Et toi t'es qu'un lâche sale Beauchamps... » La colère de Theos explose sur ces paroles et la bougie qui jusqu'ici se consumait tranquillement devient source de vie pour le Gisha. Le feu se projette en direction de la jeune femme et embrase sa manche. Sous le coup de la surprise et de la douleur, elle pousse un hurlement strident qui fait lâcher prise à Theos. Reculant de quelques pas, il reprend ses esprits et éteint mentalement le feu. « Madame ? Madame tout va bien ? Je vous ai entendu crier... » Une domestique fait irruption dans la chambre alors que Ella et Theos se jaugent. Elle a compris. Elle a compris qu'il n'est pas celui qu'il prêtant être. Il se pavane en immortel alors qu'il fait partie des infamies. La peur étincelle dans le regard du Beauchamps. Elle va donner l'alerte, il va être arrêté. Il pense à ses frères et sœurs, comment va t-il pouvoir les protéger ? Que peut-il faire pour les sauver ? Tuer Ella et sa domestique ? En a t-il seulement la force ? « J'ai... » Theos est suspendu à ses lèvres, le monde s'arrête. « Tout va bien. J'ai marché trop près d'une bougie et ma robe s'est enflammée... Heureusement Monsieur Beauchamps était là pour me sauver. » Elle prononce ces mots sans que les deux jeunes gens ne se lâchent des yeux. « Vous êtes blessé ! Je vais faire venir un médecin. » La domestique sort de la chambre et Théos s'élance vers l'immortelle et pose une main sur son épaule. « Ella je... » La jeune femme pose ses doigts sur les lèvres du mêlé. « Chut... Ne dis rien. » Les émotions se mélangent dans l'âme du grisha alors qu'il se noie dans les pupilles de la sauveuse. « Je ne dirais rien. Jamais. Je te le promets. »